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La pulsion entre désir et amour 3 : Question théorique ou question d'analyse ?



Le rapprochement des sexes




Si le lieu du désir est le sujet, quel est le rapport de la sexualisation de ce qui relève du niveau du moi au moyen des pulsions partielles et de ce qui fait que la jouissance du sujet est déterminée de telle ou telle façon par le lieu du signifiant ? L’éclaircissement de ce rapport serait la seule façon de découvrir les ressorts de désir sexuel de l’un pour un autre. Si la réalité est, contrairement aux apparences, entièrement psychique, c’est en vertu de la nécessité, pour que la réalité se constitue de façon à être partageable, de l’assomption, tout d’abord, de signifiants primordiaux. De même, si le lieu de l’Autre peut être dit psychique, c’est en tant qu’il transcende le niveau du moi[1] tout en le déterminant. L’immixtion du sujet lacanien dans la théorie analytique permet-elle l’annihilation de la béance du rapprochement des sexes ? Loin de là : la « dialectique de la pulsion » n’appartient pas à « l’ordre de l’amour », qui relève du moi, ni à celui « du bien du sujet »[2], qui relève de l’ordre symbolique, auquel appartiennent peut-être les coordonnées de plaisir dont nous avons vu qu’elles seules, de l’expérience de jouissance verwirft, demeuraient accessibles.

Le rapport de l’amour et de « la tendance sexuelle totale »[3] est déjà un problème pour Freud dans l’article sur les destins de pulsions, problème non résolu ici. Cette tendance sexuelle totale n’est nulle part « dans le sujet », dit Lacan, mais l’article de Freud aurait, selon lui, l’objectif qui consiste à nous montrer qu’ « elle y est pourtant diffuse »[4] : c’est exactement ce que nous voulons savoir, comment se diffuse-t-elle et à partir de quoi ? Dire que cette tendance est diffuse induit avant tout qu’elle n’est nulle part totale, ni concentrée en pulsion génitale conformément à la fonction de la reproduction. Cette même fonction est celle à partir de laquelle s’exportent et se démarquent les identités de genre, et à partir de laquelle les sociétés sont organisées. C’est donc à bon droit, selon Lacan, que l’amour ne représente pas la tendance sexuelle totale : cette dernière n’existe pas.


C’est une chose que de penser la sexualité humaine comme perverse, structurellement, afin de préserver la pratique analytique de l’orientation adaptative et moralisante, c’en est une autre que de ne pouvoir fonder la norme hétérosexuelle[5], déjà un problème pour Freud dans les essais sur la théorie sexuelle[6], norme prescrite par la survivance exigée de l’humanité. Or, précisément, Lacan exclut cette fonction de la représentabilité psychique : la fonction de la reproduction « n’est pas représentée comme telle dans le psychisme »[7], ce qui est également montré, par la négative, dans l’exposé freudien des théories sexuelles infantiles. Malgré tout, Lacan attribue une représentance à « la relation des sexes » au « niveau de l’inconscient » : dans la conjonction « du sujet dans le champ de la pulsion au sujet tel qu’il s’évoque dans le champ de l’Autre »[8]. Cette conjonction est l’unique « support » possible de la tendance sexuelle totale. Que penser de cette attribution, qui semble contredire l’affirmation précédente et qui pourrait expliquer le rapprochement des sexes ?

Cette attribution est relative à la conjonction de ce qui pourrait apparaître comme la dualité héritière de la dichotomie soma/psyché : la dualité de la pulsion et du signifiant. L’on pourrait dire que la détermination de la pulsion comme partielle est relative au mode de son appréhension par la réalité psychique. Or la nature partielle de la pulsion est fondée, selon Lacan, en essence : c’est « par essence de pulsion »[9], en tant que telle, hors représentance, que la pulsion est partielle. Cette parcellisation pulsionnelle est donc une cause, non une conséquence, de l’absence de représentation de la fonction de reproduction dans le psychisme. Comment expliquer alors l’existence d’un support pour la tendance sexuelle totale ? Car il faut alors tout de même bien rendre raison du rapprochement des sexes, rapprochement des sexes qui est rapprochement des corps, et donc rapprochement originel. Sans quoi l’on ne saurait maintenir l’idée du sexuel et l’idée du rapprochement des corps.

C’est d’ailleurs ainsi que, lors de l’analyse du désir oral, Lacan définit le caractère sexuel de la relation du sujet à l’Autre et tient ce caractère pour important : « la relation sexuelle, c’est cela par quoi la relation à l’Autre débouche dans une union des corps »[10]. Il doit donc bien exister une mise en relation possible des ordres du corps et de l’Autre, qui explique ce débouché du signifiant. Il s’agit d’une conjonction du sujet au sujet : qu’est-ce que cela veut dire et que décrit l’ « effort pour se rejoindre »[11] de ces sujets ?

Remarquons que, dans le passage de la dichotomie soma/psyché à la partition pulsion/signifiant, s’opère le passage du rapport entre la matière et l’appareil psychique dans sa totalité au rapport entre deux champs de l’inconscient, inconscient qui est l’objet propre de la psychanalyse. D’ailleurs, si Freud rapporte l’amour, en tant que relation aux objets une fois le stade d’objet atteint, ainsi que le principe de plaisir, en tant que restitué par des sensations, au moi dans l’article sur les destins de pulsions, il n’est pas question expressément de la distinction conscient/inconscient.

L’on peut alors se demander de quel ordre relève l’injonction exhibitionniste, « Objet propre être regardé par personne étrangère »[12], par exemple. Il n’est absolument pas fait référence au moi par Freud lors de la description de ce devenir pulsionnel. Cette formule, qui est celle du désir, est-elle la formule du fantasme, et, en ce cas, peut-elle être consciente ? Lacan exclut toute pertinence au niveau du moi, pourtant siège de l’exercice du principe de plaisir par le biais des sensations, quant à la satisfaction. Or nous supposons que cette formule tient lieu de sa quête, puisque la formulation, par Freud, de la pulsion de regarder à ses différents stades décrit son but, qui est, pour toute pulsion, la satisfaction[13]. En effet, il n’y a, selon lui, qu’un seul terme qui peut avoir quelque pertinence sous ce rapport : ce terme est le sujet[14].




L’angoisse et la haine




Il pourrait bien exister, de même, de telles formules qui tiennent lieu de pulsion génitale, formules qui se réfèreraient à l’être pénétré par le pénis ou à l’acte de pénétrer le vagin par le pénis, par exemple. Ces formules fantasmatiques sont celles sur lesquelles s’édifie, exemplairement, l’édifice théorique kleinien[15]. Il s’agit là, au cœur de la lignée freudienne dans laquelle s’intègre cette élaboration, d’une tout autre pensée de la génitalité, c’est-à-dire, au fond, de la libido. En effet, la pensée de Mélanie Klein se distingue de celle de Freud en ceci que la perversion de la sexualité infantile, perversion coextensive aux théories sexuelles infantiles, n’exclut pas les désirs génitaux. Le présupposé de l’existence de désirs génitaux précoces s’accompagne d’une conception de la libido qui entremêle, pour reprendre la mot de M. Klein, la libido et « une agressivité génératrice d’angoisse »[16]. Or Freud tente de distinguer la libido et l’agressivité, par exemple, au titre, pour la seconde, de la pulsion d’emprise, dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, ou au titre du sadisme, ou encore de la haine, les deux derniers étant examinés dans l’article sur les destins de pulsions. Il reste que l’on pourrait fonder l’entremêlement de la libido et de l’agressivité par le développement du moi au moyen des mouvements intro/pro-jectifs, développement décrit par Freud dans ce dernier article[17].


Nous y avons déjà cherché la constitution du réel lacanien. Et si, au cours de la mise en exergue du don, par M. Klein, de la loi oedipienne au petit Dick, Lacan met en question la véracité de la conception kleinienne du rapport de l’enfant au monde[18], l’on peut remarquer que cette mise en doute est introduite par l’impossibilité de prendre connaissance de ce rapport : « ce réel primitif est pour nous littéralement ineffable. Tant qu’il [le sujet] ne nous en dit rien, nous n’avons aucun moyen d’y pénétrer »[19].

La relégation du réel dit primitif dans l’ineffable prend les traits d’une prudence intellectuelle dont semble s’affranchir l’élaboration ultérieure qui conduit à la notion de Chose. L’on pourrait peut-être dire de la Chose ce que Freud dit des pulsions, comme concept, dans l’article sur les destins de pulsions, et que résume comme suit Octave Mannoni : « les pulsions appartiennent au réel – même si c’est « fictif »… »[20]. C’est pourquoi cette remarque de Lacan peut surprendre, même si elle peut aussi nous conduire à la distinction du réel et de la structure qui caractérise l’effort théorique lacanien, puisque le sujet peut nous en dire quelque chose.

Or cette distinction serait annulée, selon Thierry Simonelli, à partir du moment où Lacan fonde sa conception du monde au moyen de la topologie. Selon cet auteur, cette fondation produit la notion de « réel structural ». Car, si la structure topologique « relève du réel », alors « Il n’y a plus de différence entre le monde réel et le monde symbolique »[21]. Et c’est précisément le fantasme qui est le lieu où s’opère l’identification du réel et de la structure. La science du réel que deviendrait alors la théorie psychanalytique, dépassant ainsi la philosophie toujours dépendante de la capture imaginaire, évacuerait le désir et la possibilité même de l’éthique. Cette évacuation est-elle imputable à la création de l’objet a et à l’immixtion du sujet lacanien entre le moi et le monde ? Cela pose la question de ce que l’on doit faire, dans la théorie analytique, de ce qui est à la limite du symbolisable.


Pour en revenir à ce qui distingue l’élaboration kleinienne de la pensée freudienne, Freud lui-même fonde la haine, au sens où il en situe la « source », au temps des « primes origines »[22], temps, de même que pour l’amour, « originellement narcissique »[23]. Ce temps correspond alors à « la situation dans laquelle il [le moi] n’aime que lui-même »[24]. Remarquons d’abord que l’origine de l’amour et de la haine précède le développement du moi exigé par la domination du principe de plaisir. Mais que faire du statut théorique de l’histoire des origines en analyse, de ce réel ineffable qui rejoint l’ordre du mythe ? Ensuite, la fondation de la haine dans la « récusation…du monde extérieur dispensateur de stimulus »[25] est ébranlée par, comme nous l’avons déjà noté, l’absence, exigée par Freud, du rapport du moi narcissique et de ce qui n’est pas lui, soit que le moi contienne tout, soit qu’il n’est pas en rapport avec autre chose que lui.

Car la haine est définie, en tant que récusation, comme « relation à l’objet »[26] alors même que le déplaisir dont il est question dans la description freudienne ici du narcissisme ou auto-érotisme ne peut être qu’éventuel[27]. La définition de l’origine de la haine présuppose ainsi qu’il y ait des objets avant la constitution du stade d’objet au moyen des intro/pro-jections qui développent le moi. C’est finalement par le refusement de la satisfaction[28] qu’est produite la haine, c’est-à-dire davantage l’absence de plaisir que le déplaisir lui-même apporté par les objets. Cela est conforme à la création de l’objet haï par la projection à l’extérieur du déplaisir interne, ce qui ne ferait pas de la pulsion ce qui devient interne mais de l’objet ce qui devient externe. Cette constitution de l’objet nous suggère deux questions : n’y a-t-il pas d’objet en lui-même déplaisant en ces primes origines et la haine transférentielle n’est-elle produite que par le refus de la satisfaction attendue de l’autre ?

La seconde différence entre Freud et Mélanie Klein relativement à la conception de la libido est que l’angoisse qui, selon la seconde, est engendrée par l’agressivité originelle, a une tout autre origine chez le premier. En effet, Freud comprend la manifestation d’angoisse chez l’enfant à partir de « l’absence ressentie de la personne pour qui on éprouve de l’amour (de la désirance) »[29]. L’angoisse est produite par l’absence de satisfaction, absence qui produit l’atteinte, par les « grandeurs de stimulus », d’une « hauteur empreinte de déplaisir »[30]. Mais il est remarquable que cette satisfaction soit liée à l’amour. C’est pourquoi le stimulus pulsionnel, « comme la faim »[31], n’est pas un point de départ adéquat pour l’examen du refoulement. La raison n’en est pas que la faim n’a rien de sexuel : la raison en est que le premier rapport au monde, puisque rapport au monde, initialement, il y a, relève d’autre chose que du corps. Car que serait le rapport de l’angoisse et de la pulsion, si l’angoisse n’était rapportée à l’autre qu’au travers des besoins ? L’absence productrice d’angoisse doit bien être déterminante en tant qu’absence de la personne, et non seulement des objets qu’elle donne ou non[32], sans quoi la Sehnsucht dont cette personne est l’objet serait une attribution stérile.

L’angoisse est ainsi produite par l’absence de ce qui est objet d’amour, ce qui est cohérent avec la définition lacanienne de la pulsion par la demande[33]. Par ailleurs, cette demande d’amour se réfère davantage au pacte entre l’un et l’autre, pacte qui fait lien, plutôt qu’à l’amour narcissique et imaginaire. Mais, plus tard dans l’enseignement de Lacan, l’angoisse ne sera pas liée à l’objet total qu’est la personne objet d’amour, c’est-à-dire de Sehnsucht, mais à l’objet cause du désir, objet a : comment relier cette construction et ce qui est l’objet du refoulement, sort exemplaire de la pulsion en psychanalyse ?


L’introduction du génital dès le départ dans la sexualité infantile conduit par ailleurs Mélanie Klein à une tout autre conception du devenir libidinal, du refoulement et de son lien au complexe d’Œdipe. Car, chez cet auteur, la culpabilité naît des « tendances agressives », et, chez l’enfant qui en est le sujet, « accroît son besoin de refouler ses désirs génitaux »[34]. Le refoulement a ainsi pour origine la dialectique fantasmatique fondée par l’agressivité, dialectique imaginaire.

Or, dans la pensée freudienne, les formations de « la pudeur, le dégoût, la pitié »[35], qui produisent la répression des motions sexuelles infantiles, ne sont pas innées[36]. La possibilité d’un conditionnement organique de ces formations et affirmée par Freud[37], ce qui pose, même si l’on élimine le présupposé phylogénétique de sa théorie, la question du rapport de ces formations et de la loi énoncée par le complexe d’Œdipe, à moins de penser que, la mère donnant le sexuel à l’enfant, et la mère étant interdite, le sexuel qui est lié à la mère doit aussi être interdit.

Remarquons que les deux pulsions examinées par Freud dans le paragraphe intitulé « Pulsions partielles », paragraphe qui suit l’indication selon laquelle les formations répressives sont historiques, en tant que leur développement relève d’une nécessité structurelle (doit-on alors penser que l’ordre organique est un autre mot pour la structure ?), sont les deux pulsions paradigmatiques de la parcellisation pulsionnelle à laquelle Lacan nous dit que se réduit, par essence, la pulsion, à savoir la pulsion de regarder et le sadisme, appelées chez Freud « le plaisir-désir de regarder et de montrer et la cruauté »[38]. Elles constituent justement l’objet des destins pulsionnels dans l’article sur les pulsions. Ces destins pulsionnels sont relatifs à une structuration psychique qui précède la possibilité du refoulement, c’est-à-dire l’instauration d’une « une partition tranchée entre activité d’âme consciente et activité d’âme inconsciente »[39].

C’est donc à d’autres destins que sont livrées les pulsions orale et anale, autres que ceux présentés dans l’article sur les destins de pulsions, également autres que le refoulement. Aucun modèle de l’article sur le refoulement ne concerne en effet ces deux pulsions. La raison en est que l’oral et l’anal sont moins des pulsions que des formes « d’organisation sexuelle »[40]: elles relèvent ainsi d’un fait de structure. Cette structuration mise au jour par l’étude des névroses rend raison de l’idée régulatrice de la régression, dont nous avons vu qu’elle peut déterminer l’enjeu du statut de la théorie analytique. C’est ainsi, en effet, que Freud énonce le présupposé de la névrose de contrainte : « une tendance sadique s’est mise à la place de la tendance tendre »[41], la tendance sadique relevant de la seconde organisation prégénitale.

Il est intéressant de noter que le sadisme, quand bien même il relèverait d’une organisation, est bien l’objet d’un examen détaillé en ses différents stades dans l’article sur les pulsions, pas en tant que pulsion anale, mais en tant que pulsion sadique. Que penser de cette séparation ? Dans l’organisation sadique-anale, le sadisme s’exprime en tant que « poussée à l’emprise »[42], analogue de l’incorporation au sein de l’organisation génitale précédente. Tous deux sont ainsi produits par transposition d’un acte en fait psychique.

Ce qui est décrit comme organisation prégénitale de la pulsion sexuelle ou « organisation des pulsions partielles »[43] dans les essais sur la théorie sexuelle, relève dans l’article sur les destins de pulsions de « stades préliminaires de l’aimer »[44]. Cette identification du développement de la libido et du développement de l’amour, de leurs histoires, est conforme à la perspective normative qui préside à la description de la libido dans les trois essais, mais, tout autant que s’en trouve transformée la notion du sexuel, confondue avec celle du plaisir d’organe, s’en trouve transformée la notion de l’amour, qui devient la relation à l’objet, fut-elle destructrice.

D’une part, la question de la réunion des courants tendres et sensuels, du désir et de l’amour, s’en trouve alors également transformée : il ne s’agit plus de la conciliation, comme elle peut apparaître à un niveau disons culturel, comme lorsque Freud définit le phénomène généralisé, dans la société répressive, de l’impuissance psychique, il ne s’agit plus de deux données originaires appartenant à des ordres structuralement différents, mais de deux construction relevant de l’Autre, si tant est que la libido naisse par l’autre.

D’autre part, ces différents stades de l’aimer sont les stades de la pulsion sexuelle, car ils sont déterminés par les étapes de développement des « pulsions sexuelles »[45]. C’est pourquoi Lacan confère un « sens sexuel »[46] au cannibalisme, dont le qualificatif[47]est synonyme, dans les trois essais, du caractère oral de la première organisation prégénitale. Quel rapport se dessine-t-il ici entre l’amour et le sexuel ? Freud semble présenter leurs développements respectifs comme étant homologues[48], en vue d’établir une congruence finale entre l’amour et la tendance sexuelle totale, malgré les difficultés qu’il affronte et met au jour dans son examen de l’amour. Or les stades de l’amour sont définis par les stades de la pulsion sexuelle et par rien d’autre dans l’article sur les pulsions, ce qui finit d’accorder toute pertinence à l’exigence d’une intervention, à l’adolescence, d’un trait d’union, telle une intense motion d’amour animique, entre le désir et l’amour, entre les processus de développement somatique et psychique. Dès que l’objet est introduit par et pour le moi, l’objet est objet pour la constellation psychique du sujet, siège des coordonnées de plaisir/désir/jouissance/amour, coordonnées issues de l’autre. La pulsion telle que construite par Freud est ainsi de nature psychique.


Le point d’orgue de la difficulté de penser la mise en relation initiale de l’amour et de la tendance sexuelle totale est le rapport à l’autre comme corps total, que semble indiquer le désir et l’amour pour l’autre. Cette difficulté est résolue par l’élaboration lacanienne de la relation imaginaire, dont on pourrait dire qu’elle explique l’identité de jouissance exprimée par Freud lors de l’examen du sadomasochisme dans l’article sur les pulsions. Mais jamais le rapport à l’autre comme corps total n’est intégré à la description par Freud de l’amour dans l’article sur les pulsions. Il est alors impossible de distinguer l’amour de la pulsion sexuelle, sauf à référer la pulsion sexuelle à l’ordre du développement somatique et au plaisir, mais nous avons vu que l’érogénéité avait pour source principale le don de l’Autre.

Définissant la pulsion comme demande, Lacan introduit également une homologie, de structure celle-là, entre la zone érogène, l’objet, la formulation de la demande, et le signifiant comme ce qui détermine le sujet : ces éléments sont réunis par le trait de la coupure. A cet égard, Lacan dénie l’attribution du trait d’être partiel à l’objet comme étant relative, c’est-à-dire déterminée comme opposée à « un objet total qui serait le corps »[49], de même que la pulsion n’est pas dite partielle, selon Lacan, par différence et partition de la pulsion globale correspondante au corps total.

Cette précision est ainsi d’une grande importance afin de saisir en quoi la pulsion est, par essence de pulsion, partielle. C’est la représentation de la « fonction » produisant l’objet qui est partielle : de quelle fonction est-il question et quel est le sens de cette représentance ? Les objets pulsionnels, qui sont objets de désir, ne seraient pas des parties du corps mais des représentations partielles de la fonction qui les produit.

Il s’agit ici, comme lors de la double définition de la pulsion dans l’article sur le refoulement, d’une représentance, d’une représentance qui est la chose tout entière au lieu d’en être la doublure ou le doublement.

De même que Freud met en question, dans l’article sur les destins de pulsions, le rapport de l’amour et de la pulsion totale, il existe une dissymétrie essentielle entre la pulsion partielle et le corps total du côté du sujet de la pulsion comme de l’amour. Car le corps total de l’autre ne peut pas être saisi ou posé comme objet de la pulsion sexuelle totale. Notre recherche sur ce qu’est la pulsion nous conduit à nouveau à nous demander si notre interrogation quant aux conditions de la position de l’un comme cause du désir d’un autre, c’est-à-dire quant au rapprochement des sexes, constitue une bonne question.




La réunion : origine de l’amour et saisie du sexuel




La description freudienne du fondement du devenir libidinal du sujet humain dans les Trois essais sur la théorie sexuelle nous laisse en héritage un problème, celui de la réunion du courant tendre et du courant sensuel de la libido, au-delà des considérations quant aux particularités de la répression imposée par une société donnée.


Car, d’une part, Freud nous présente cette réunion comme étant à la fois normative et quasi-impossible. En effet, c’est « la normalité de la vie sexuée » qui exige « la conjonction exacte des deux courants dirigés sur l’objet sexuel et le but sexuel »[50]. Or la conjonction des devenirs du choix d’objet et du but sexuel est pensée par Freud de manière contradictoire dans ces essais. En effet, avant 1915, le choix d’objet doit à la puberté « renoncer aux objets infantiles et prendre un nouveau départ en tant que courant sensuel »[51] alors que les buts sexuels « constituent maintenant…le courant tendre de la vie sexuelle ». Après 1915, le courant dirigé sur l’objet est « le courant tendre » et le courant dirigé sur le but sexuel est « le courant sensuel »[52] de la libido. Dans cette interversion se joue le rapport du désir et de l’amour. Il serait tout à fait confortable que le choix d’objet prodigue de lui-même, ainsi que l’affirme Freud avant 1915, l’attrait sexuel pour l’autre, conformément au but sexuel post-pubertaire qu’est le but génital. Car il ne pourrait alors exister de conflit entre le choix d’objet et ce qui produit l’excitation, absence de conflit dont Freud dément qu’il soit probable dans la culture qui est la sienne[53]. Or autant le processus de sublimation pourrait expliquer le passage du but sexuel aux motions tendres, autant rien ne justifie ce passage du choix d’objet à l’attrait, car ce sont plus précisément « les résultats du choix d’objet infantile » qui deviennent, après le refoulement, « inexploitables »[54], ce que l’on peut assimiler aux identifications à partir des objets parentaux[55]. L’identification, c’est-à-dire l’emprunt de trait[56], devrait ainsi être le vecteur des coordonnées du désir alors qu’elle devient inexploitable pour la libido. Cette mise en relation de l’identification et de la sexualité, donc de la sexuation et de la sexualité, rappelle les effets explicités par Lacan de la symbolisation primordiale, qui permet au sujet humain d’ « être à peu près ce qu’il a admis qu’il était, un homme quand il se trouve être du sexe masculin, ou une femme inversement »[57]. Mais comment la métaphore paternelle, qui est l’autre nom de la symbolisation primordiale, décide-t-elle des principes, pour un sujet singulier, non de l’identification, mais de l’excitation ?

Après l’introduction au narcissisme, c’est-à-dire après l’admission de l’investissement libidinal du moi, la mise en relation de la tendresse et de l’objet, d’une part, de la sexualité et du but pulsionnel, d’autre part, semble produire une présentation simple des deux fonctions d’amour, puisqu’il y aurait l’amour d’un côté, le désir de l’autre. Or cette désunion constitue le facteur évident de ce qui arrive « presque toujours »[58] : la dichotomie si bien mise en scène par le cinéaste Eustache entre la maman et la putain. Ce qui apparaît ainsi comme une dualité fondée sur la bipartition soma/psyché complique finalement la conjonction des deux fonctions de l’amour plus qu’elle ne la permet.


De toute façon, cette seconde mise en relation nie les difficultés qu’il y a à faire, à travers le corpus freudien, la génétique de l’amour. Car, d’abord, il n’y a pas de motion originellement tendre dans les trois essais, l’amour est toujours issue d’une transformation pulsionnelle ou pensée comme surestimation psychosexuelle[59], c’est-à-dire comme folie passagère[60]. C’est d’ailleurs cette estimation, toujours déjà surestimation pour Freud, qui fait déborder le flux libidinal de la seule direction génitale dans l’acte sexuel, soit qui justifie l’acte pervers au sens où il est admis dans l’acte sexuel normal. Ensuite, les deux sortes de « pulsions d’amour »[61] décrites ultérieurement par Freud sont les pulsions sublimées et les identifications. Quant aux premières, c’est chez les femmes, surtout chez les femmes, qu’elles peuvent donner lieu à de « souhaits érotiques », sur le modèle de la relation entre « le maître et celle qui est son élève, l’artiste et son auditrice ravie »[62]. D’où l’on voit comment Freud propose une suppléance à l’inhibition de la sexualité chez la femme, inhibition fondée principalement par la nécessité qu’il pose, afin d’accéder à la féminité, du refoulement de la zone sexuelle masculine[63]. Quant aux secondes, nous avons vu que, avant 1915, elles devraient mais ne peuvent donner lieu à la sensualité, après 1915, elles sont séparées de la sexualité, dirigée quant à elle par le but sexuel.

D’ailleurs, la question du rapport de l’identification, c’est-à-dire aussi et d’abord de la sexuation, et de la sexualité au sens du courant sensuel, nous fait aborder à nouveau la question de la féminité comme passivité, en tant qu’elle n’est pas élaborée comme telle dans le discours freudien. En d’autres termes, l’on touche ici un aspect pathologisé dans le texte freudien, à savoir la position du père comme objet sexuel pour le garçon ou position dite féminine envers le père. Cette position est saisie par Freud comme « facteur pathogène typique »[64] à partir de l’étude de la paranoïa du Président Schreber. Le refus de la position féminine envers l’homme est la version masculine de la loi relative à la différence des sexes, loi qu’est le refus de la féminité. Et ce refus est l’obstacle final de l’analyse thérapeutique[65]. La tendance libidinale à but passif vis-à-vis de l’homme, tendance libidinale qui constituerait le propre du féminin au moins post-pubertaire, est justifié métapsychologiquement par Freud dans l’analyse du cas de l’homme aux loups, du Président Schreber ou du peintre Haitzmann, mais pas dans les textes sur la féminité.

D’ailleurs, Freud se défend de la normalité de cette position, alors que l’identification au père, qui à la fois précède et succède à la castration, exige cette passivité vis-à-vis de lui. Par exemple, la mise en évidence de l’identification primaire du garçon[66] au père est suivie immédiatement de la (dé)négation de la corrélation entre cette identification et un désir de satisfaction sexuelle par le père, donc de la position de la direction du courant sensuel de la libido vis-à-vis de ce même objet. Or, l’enjeu de cette question est bien l’origine de l’amour, puisqu’il n’y a pas de motion tendre originelle hors de la piste de l’identification et la sublimation. En effet, l’amour infantile vis-à-vis des objets parentaux[67] semble illustrer pour Freud le seul exemple possible de réunion des courants tendre et sensuel de la libido[68]. Or la tendresse n’est censée être produite qu’au moyen du refoulement et/ou sublimation[69] des pulsions sexuelles. D’où la question de la possibilité de la coexistence du choix d’objet et de l’identification[70] et l’interrogation quant à la possibilité d’un courant tendre avant le refoulement.




Le fin mot de l’histoire




Freud affirme d’autorité, lors de la description de « la préhistoire du complexe d’Œdipe chez le garçon »[71], que l’identification primaire du garçon au père est « de nature tendre » alors qu’il avait insisté sur la différence entre cette identification et le désir, et que le choix d’objet infantile est aussi l’objet de tous les buts sexuels infantiles[72]. Mais rien ne rend raison de cette qualification, hors la définition de l’incorporation comme à la fois prototype de l’identification[73] et l’un des « stades préliminaires de l’aimer [qui] s’offrent comme buts sexuels provisoires »[74]. Ces déterminations font entrer l’identification dans le registre de l’amour autrement que par des considérations topiques, c’est-à-dire par la position de l’être aimé en lieu et place de l’idéal du moi. Mais, par ailleurs, que reste-t-il de l’aimer s’il ne peut plus être pensé en opposition à la haine qui détruit l’objet ?

Rien n’en rend donc raison sauf le transfert dans la théorie d’un acte physique en un acte psychique au moyen de l’ordre du prototypique. Et promouvoir le prototypique au rang de fondement conceptuel ne permet pas pour autant d’expliquer le rapprochement des corps impliqué par la mise en acte de la pulsion. Ou peut-être touchons nous là le mode en lequel s’édifie la pensée psychanalytique, conformément à son objet, le sujet humain, celui qui parle, qu’il s’agisse de l’explication métapsychologique de l’identification ou des transpositions pulsionnelles, dans l’érotisme anal par exemple. La psychanalyse prend au sérieux la structure du langage humain, nécessaire à la vie dès avant la naissance, et qui fait que les signifiants sont avalés en même temps que la nourriture. D’où l’impossibilité égale de fonder la théorie psychanalytique de la pulsion par l’ordre du corps. Puisque le psychotique peut ne pas avoir de bouche. Si la remise en cause de l’utilisation du concept de pulsion dans le dire analytique ne nous avait conduit qu’à la compréhension de cette profonde cohérence de son objet et de son dire, cela nous suffirait. C’est ainsi que devient acceptable la « métaphore »[75] par laquelle Lacan compare le réel pulsionnel, fonction du trou du corps en tant que découpé, et le réel indicible, nœud de l’inconscient. Le trou et le nœud sont des termes qui se réfèrent à une tout autre formalisation que philosophique.


D’un point de vue purement spéculatif, Freud pose deux origines à la fondation de la famille : « le besoin de satisfaction génitale » et le « désaide des enfants »[76] nés de l’union de l’homme et de la femme, c’est-à-dire l’amour sexué génital et le désaide. Or le désaide de l’enfant produit l’amour ou la Sehnsucht de l’enfant pour la personne qui « satisfait sans délai tous ses besoins », personne « qui lui est familière [der ihm vertrauen] »[77], et dont l’absence provoque l’angoisse. La satisfaction qui, pourrait-on dire, attache l’enfant à la mère est celle des besoins, de même que la satisfaction recherchée par le commerce conjugal, mais en un tout autre sens du besoin. Car la décharge est assimilée ici à un besoin, issu du passage d’un seuil de tension physique ou chimique, comme nous l’a montré le texte sur la névrose d’angoisse. Mais nous avons vu que la satisfaction recherchée est autre que physique.

Il faudrait ainsi, comme Freud s’y emploie, expliquer l’amour par le processus de l’étayage, si l’on désirait prendre au sérieux ce besoin. L’étayage est d’ailleurs, selon Miller, ce qui n’est pas admis par Lacan au sein de sa pratique et de sa théorie, et ce refus équivaudrait au refus de l’affect.

Mais l’on voit bien que ce qu’implique le désaide, précisé dans ses conséquences par Freud dans ce texte clinique majeur, conduit à la définition d’un rapport à l’autre maternel qui assume tout en dépassant et, pourrait-on dire, en déplaçant, le besoin en tant qu’il ressortit de l’ordre biologique. Il s’agit ici en effet du besoin de l’autre, ce besoin de l’autre qui, par la mise à disposition de son être, est celui à qui l’on peut se fier (Vertrauen). Le besoin d’un autre auquel l’on peut se fier semble être ainsi la racine de l’amour, voire l’amour lui-même, en-deçà des identifications et hors de tout processus sublimatoire.

D’une part, l’angoisse est l’envers de ce besoin de l’autre car elle est produite par son absence, l’angoisse est le prototype de l’affect en psychanalyse, et l’échec du refoulement est produit par l’échec du refoulement du montant d’affect comme Freud l’énonce dans l’article sur le refoulement. D’autre part, la névrose s’explique par l’échec partiel de la transformation « des pulsions sexuelles directes », échec qui donne lieu à la revendication de la « satisfaction directe »[78] de ces mêmes pulsions. C’est dire qu’une revendication porteuse d’angoisse définit ce qui relève de l’ordre du sexuel. L’on voit donc qu’est posée ainsi une parfaite congruence entre l’ordre du sexuel et celui de l’affect, de telle sorte que l’affect indique le sexuel ou l’investissement libidinal[79].

Mais l’on voit que ce sexuel est sexuel en un tout autre sens que celui indiqué par une tension d’ordre biologique, puisque ce sexuel est relatif au besoin de l’autre[80], au besoin d’un autre fiable, auquel l’on peut croire, et relatif aussi à la dérivation, au déplacement, comme nous l’avons vu précédemment lors de l’examen par Freud du mécanisme qui produit la névrose. C’est peut-être en cela que Lacan peut affirmer que l’on ne parle que du sexuel. L’analyse ne peut d’ailleurs s’inscrire qu’au sein de cette fiabilité. Par ailleurs, ces différentes élaborations, dans leur complexité, démontrent qu’il n’y a pas, d’un côté, le sexuel qui relèverait du corps, de l’autre, l’amour, qui relèverait du psychique.


Que, pour Freud, l’angoisse soit liée à l’objet total qu’est la mère et, qu’en même temps, le premier objet de l’enfant soit, non pas la mère, mais dans le sein, ouvre bien la voie lacanienne vers une autre conception de l’objet producteur d’angoisse qu’un objet corporel. C’est pourquoi l’absence de congruence entre la pulsion et le corps total, entre l’amour et la tendance sexuelle totale, conduit à la mise en question nosologique de la perversion.

Déjà dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, la question de la perversion est rien moins que simple. Par exemple, Freud pose la nécessité d’un conditionnement collatéral de la libido, pour expliquer la tendance des névrosés à la perversion par l’ « expérience de vie » , dans le cas où les voies que fondent les zones érogènes et les pulsions partielles seraient « restées vides »[81]. Or cette possibilité contredit la caractérisation essentielle de la vie sexuelle infantile par « l’égale prédisposition à toutes les perversions »[82], la disposition individuelle ne décidant que de l’intensité de l’engagement de la libido dans ces voies. Ces voies d’ailleurs « se comportent les unes envers les autres … comme des tuyaux communicants »[83] avant l’instauration d’une activité génitale pleine, ce qui montre la difficulté qu’il y a à les penser comme vides.

D’une part, il n’y a, entre la constitution et l’expérience de vie, aucune place pour le vide ici présupposé. D’autre part, l’on peut penser que le cas des voies collatérales restées vides correspond aux cas « les plus rares » de limitation du « but souhaité de la pulsion sexuelle » aux « seuls organes génitaux »[84] de l’objet sexuel. Or la rareté, voire l’inconcevabilité de ce cas, l’acte ne pouvant s’épargner l’emprise, même furtive, de l’objet par le regard cherchant le beau, démontre suffisamment la nécessité de poser l’objet sexuel comme objet d’estimation psychique, le débordement de la libido des voies génitales, ainsi que l’impossibilité d’une complète satisfaction du fait de la nécessité du refoulement de cette estimation et de ce débordement. Car l’expérience de vie dont Freud fait mention, et qui prend rétrospectivement la forme d’une constitution, n’est rien d’autre que le cours de la sexualité infantile telle qu’issue des agirs et séductions de l’autre primordial.

L’on parvient ainsi à la question de ce qui, du réel comme ce qui est constitué en tant que rejeté par la symbolisation, symbolisation des signifiants d’abord énigmatiques donnés par l’autre, c’est-à-dire de l’amour en tant que besoin de l’autre ou de la jouissance de l’autre en tant qu’elle est interdite par la loi oedipienne, fait l’objet du refoulement originaire.

En fait, nous avons vu que la définition de l’amour comme celle du sexuel montrent qu’ils ne peuvent demeurer figées en une opposition, celle des deux fonctions d’amour dont Freud nous dit qu’elles doivent s’unir à la puberté. D’ailleurs, le seul but sexuel ne peut constituer, en tant qu’action, à lui tout seul le désir, et la définition de la sexualité comme psycho-sexualité modifie à elle toute seule l’interrogation initiale quant à leur réunion, puisqu’elle inclut les motions tendres, qui demeurent sexuelles dans l’inconscient. Si bien que l’on peut penser que c’est l’énigme même qu’est le sexuel, qui se trouve être l’objet de ce refoulement et également l’objet du désir.


Au fond, et en réponse à la question trop philosophique du « Qu’est-ce que c’est ? » posée au concept de pulsion, l’on peut dire que ne pas savoir de quoi l’on parle lorsque l’on parle de la pulsion en analyse est tout à fait cohérent avec le rapport humain au réel, toujours méconnu par la symbolisation et le langage, et que la béance du rapprochement des sexes est celle de notre rapport au langage.






























Conclusion
































La question de la mise en travail des processus et des objets du désir et de l’amour, des courants tendre et sensuel de la libido nous a conduit à mettre en travail le concept de pulsion dans la théorie analytique. Cette mise en travail a fait apparaître que penser la pulsion ne peut s’épargner le détour du questionnement quant à la nature de l’objet du refoulement par lequel l’enfant s’intègre au monde humain partageable et commun, du refoulement par lequel l’enfant advient au monde symbolique. Ce refoulement est le nœud du conflit psychique qui, en deçà de la névrose, qui a pour objet, au fond, l’énigme de la sexualité, que cette énigme prenne le nom du corps, de la mère, du féminin, ou du préoedipien. La pulsion est ainsi le détour qui nous a mené à la question de l’origine du psychique, à travers le dérangement des catégories figées de l’amour et du désir.

Freud affirme avec force, et il en va de la portée épistémologique et thérapeutique de sa pensée, que le motif du refoulement n’est pas un conflit entre les tendances de la bisexualité[85]. Il reste que nous y sommes ramenés à plusieurs reprises lors de notre interrogation quant au rapprochement des sexes et au concept de pulsion qui y est sous-jacent. C’est d’ailleurs la question posée par les nouveaux modes de procréation et les nouvelles attributions de la parentalité et de la filiation à la théorie analytique, et principalement aux stratégies identificatoires liées au complexe d’Œdipe comme fondant cette théorie, qui fut, en plus de la question de ce que signifie être une femme, question issue de la conception freudienne de la féminité, l’origine de cette recherche.

Sur la voie de la recherche de ce que devient la théorie analytique bousculée par le dérangement de la norme hétérosexualité et de la normativité génitale qui lui est corrélée chez Freud, nous avons questionné le concept de pulsion dans la théorie analytique en tant que lieu de la cause de l’efficace analytique, car l’enjeu de cette question ne fut rien de moins pour nous que celui de la transmission de la psychanalyse. En effet, cette efficace n’est pas suspendue à la reconnaissance de la cause de cette efficace, par l’analysant comme par le politique.

Mais, d’une part, la reconnaissance publique, c’est-à-dire politique, de la psychanalyse, reconnaissance qui seule peut garantir le libre exercice de la psychanalyse dans son intégrité la plus profane, dès lors qu’elle est soumise au devoir de cette reconnaissance, indexe cette reconnaissance à l’appréhension des causes de son efficace, qui semblent ne pas pouvoir être reconnues de l’extérieur de son expérience. Et la pulsion est impliquée au premier plan de l’interrogation quant à ces causes dans le dire analytique. D’autre part, la cause de l’efficace de la cure analytique est directement mise en question par la nécessité de la production d’un savoir, en plus, savoir produit par la cure sur la cure pour celui qui désire devenir analyste. C’est donc aussi par un vouloir intérieur à l’analyse, en tout cas que l’analyse doit pouvoir intérioriser, que la question des principes de la cure analytique fut corrélée au concept de pulsion. D’où, également, la question du fantasme à la porte duquel nous a laissé cette recherche, celui du sujet libidinal comme le nôtre, qui la traverse.







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[1] Cf l’expérience du bouquet renversé, telle qu’utilisée par Lacan dans le Séminaire, Livre I, Les Ecrits techniques de Freud : la constitution d’un monde où s’interpénètrent l’imaginaire et le symbolique dépend de la position de l’œil, « symbole du sujet », p 94. [2] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 188. [3] Pulsions…, p. 180. [4] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 173. [5] Cette norme est effective en ceci que « la muqueuse du vagin » est « l’objet le plus approprié » à la stimulation de la zone génitale, Trois essais…, p. 148. [6] P. 78, note 1 de 1915. [7] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 186. [8] Ibid, p. 181. [9] Ibid, p. 185. [10] Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, p. 243. [11] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 181. [12] Pulsions…, p. 177. [13] Ibid, p. 169. [14] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 152. [15] « Bien qu’ils fussent encore cachés par la libido orale, anale et uréthrale, des désirs génitaux se mêlent très vite aux tendances orales de l’enfant. Les désirs génitaux précoces, comme les désirs oraux, s’adressent au père et à la mère. Ce fait s’accorde avec mon hypothèse selon laquelle les deux sexes ont une connaissance innée inconsciente de l’existence du pénis comme de l’existence du vagin », Le complexe d’Œdipe éclairé par les angoisses précoces, in Essais de psychanalyse, Payot, p. 413. [16] Ibid, p. 411. [17] Pulsions…, p. 182-183. [18] « elle [Mélanie Klein] nous dit par exemple qu’à l’intérieur de l’empire du corps maternel, le sujet est là avec tous ses frères, sans compter le pénis du père, etc. Vraiment ? », Le Séminaire, Livre I, Les Ecrits techniques de Freud, p. 101. [19] Ibid. [20] Un commencement…, p. 25, note I. [21] Lacan, la théorie, Cerf, p. 152. [22] Pulsions…, p. 186. [23] Ibid, p. 185. [24] Ibid, p. 182. [25] Ibid, p. 186. [26] Ibid. [27] Ibid, p. 182. [28] Ibid, p. 185. [29] Il s’agit de la personne ersehnt, Inhibition, symptôme et angoisse, OC XVII, p. 252. [30] Ibid, p. 253. [31] Le refoulement, p. 192. [32] « L’objet vaut comme le témoignage du don venant de la puissance maternelle. L’objet a…deux ordres de propriété satisfaisante, il est deux fois objet possible de satisfaction – comme précédemment il satisfait à un besoin, mais aussi il symbolise une puissance favorable », Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, p. 69. [33] La pulsion est notée comme sujet barré en rapport avec la Demande, Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien, in Ecrits, p. 817. [34] Le complexe d’Œdipe…, p. 422. [35] Trois essais sur la théorie sexuelle, p. 169. [36] Ibid, p. 127. [37] Ibid, p. 113. [38] Ibid, p. 127. [39] Le refoulement, p. 192. [40] Trois essais…, p. 135. [41] Le refoulement, p. 201. [42] Pulsions…, p. 185. [43] Trois essais…, p. 134. [44] Pulsions…, p. 185. [45] Ibid. [46] Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, p. 243. [47] Trois essais…, p. 134. [48] « Des stades préliminaires de l’aimer s’offrent comme buts sexuels provisoires, pendant que les pulsions sexuelles parcourent leur développement compliqué », Pulsions…, p. 185. [49] Subversion du sujet et dialectique du désir, in Ecrits, p. 817. [50] Trois essais…, p. 145. [51] Ibid, p. 137. [52] Ibid, p. 145. [53] L’absence de la convergence entre ces courants produit « trop souvent » l’impossibilité de « l’union de tous les désirs en un seul objet », Trois essais…, p. 137. Ailleurs : du fait de cette absence de fusion, Freud attribue au « comportement amoureux de l’homme dans notre civilisation actuelle »… « le caractère de l’impuissance psychique », du fait de l’interdit de la jouissance incestueuse, Contribution à la psychologie de la vie amoureuse, in La vie sexuelle, p. 61. [54] Ibid, p. 137. [55] « Lors de la disparition du complexe d’Œdipe…il en découle une identification au père et une identification à la mère, Le moi et le ça,, p. 277. [56] Psychologie des masses et analyse du moi, OC XVI, p. 45. [57] Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, p. 96. [58] Contribution à la psychologie de la vie amoureuse, p. 61. [59] Cette surestimation produit « un aveuglement logique » et « une docilité crédule », Trois essais…, p. 83. [60] « …quand on est amoureux, on est fou », Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, p. 163. [61] Psychologie des masses et analyse du moi, p. 41. [62] Ibid, p. 78. [63] Trois essais…, p. 159. [64] Une névrose diabolique au XVIIème siècle, OC XVI, p. 237. [65] L’analyse avec fin…, p.60. [66] Psychologie des masses…, p. 42. [67] Rappelons que les objets parentaux sont indistincts avant l’apprentissage de la différence des sexes, en termes de l’avoir ou pas, Le moi et le ça, p. 275, note 1. [68] « Tous les sentiments que l’enfant éprouve pour ses parents et les personnes prenant soin de lui se prolongent sans limite dans les souhaits qui donnent expression à la tendance sexuelle de l’enfant », Psychologie des masses…, p. 76. [69] Ibid, p. 49. [70] Ibid, p. 52. [71] Quelques conséquences psychiques de la différence des sexes au niveau anatomique, OC XVII, p. 193. [72] Les « relations libidinales de la fille à la mère »… « passent par les trois phases de la sexualité enfantine », La féminité, Nouvelles suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, OC XIX, p. 203. [73] Trois essais…, p.134, notification de 1915. [74] Pulsions…, p. 185. [75] Réponse de J. Lacan à M. Ritter, Lettres de l’Ecole n°18. [76] Malaise dans la culture, p. 286. [77] Inhibition, symptôme et angoisse, OC XVII, p. 252. [78] Psychologie des masses et analyse du moi, p. 83. [79] Un groupe de représentations est « à partir de la pulsion, investi d’un montant déterminé d’énergie psychique (libido, intérêt) », Le refoulement, p. 197. [80] Dans la préhistoire du complexe d’Œdipe du garçon, deux « liaisons psychologiques » sont posées par Freud : l’identification au père, dont nous avons déjà parlé, et « un véritable investissement d’objet de la mère selon le type par étayage », « investissement d’objet tout uniment sexuel », Psychologie des masses et analyse du moi,, p. 43. Cette seconde détermination de l’investissement de l’objet-mère montre clairement que le sexuel dont il est question ici, associé au phénomène de l’étayage, dont on sait qu’il est posé dans l’Introduction au narcissisme comme fondement d’un important mode de l’amour, n’est pas séparé de l’amour, mais en tant qu’amour symbolique, celui de la foi. [81] Trois essais…, p. 104. [82] Ibid, p. 127. [83] Ibid, p. 84, note 2, ajout de 1920. [84] Ibid, p. 83. [85] A partir de l’histoire d’une névrose infantile, p,108.

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